« Tous ces coureurs se donnent bien de la peine », écrivait le philosophe Alain dans un de ses Propos sur le bonheur datant de 1911. Les hommes cherchent-ils le plaisir, comme on le lit partout, s’interrogeait-il ? Non, ils cherchent la peine et ils aiment la peine. Ils trouvent leur plaisir – le bonheur, en vérité – dans cette peine qu’ils se donnent. Un siècle après ce propos du philosophe, en va-t-il autrement ? Que de fois ne lisons-nous pas sur Facebook un joggeur ou une joggeuse concluant son compte-rendu d’une sortie Je cours pour ma forme ou d’une course à travers un paysage ravissant par la formule « Que du bonheur ! » ? Près de 1.100 coureurs étaient venus samedi, par une après-midi printanière qui plus est, chercher le bonheur sur les 12,4 km du jogging organisé dans le cadre du Challenge du Brabant Wallon au départ du complexe sportif du Ronvau à Chaumont-Gistoux.
De la peine, tous ces coureurs s’en donnèrent, en effet, d’abord pour se garer car samedi Ronvau rimait avec travaux et la grande foule étant au rendez-vous certains ne trouvèrent de place qu’à plus d’un kilomètre du départ, ensuite pour courir car en raison desdits travaux il fallait s’extraire d’un goulet au départ et la première boucle d’environ deux kilomètres se parcourait dans le sens inverse de l’habitude, obligeant les coureurs à gravir après quelques hectomètres un petit raidillon qu’ils dévalaient les années précédentes.
S’ensuivait la tranchée boisée d’un kilomètre en montée qui mène au plateau et le serpentin sur ce dernier avant d’entrer dans les bois. Là, surprise, l’on ne continuait pas tout droit mais l’on bifurquait à gauche puis à droite pour se retrouver sur un chemin qui eût donné à penser à Louise si elle avait été parmi nous que décidément même le Challenge du Brabant Wallon sacrifiait à la mode du trail… Il n’en était rien. Après une portion un peu grasse comme l’on dit à Gedinne lorsque l’on arpente le Val de Houille, le parcours retrouvait plein d’allant et son déroulé des années précédentes jusqu’à l’arrivée avec ses deux principales difficultés, une côte d’environ un kilomètre à cheval sur les 7e et 8e kilomètres et encore une côte au dixième, suivies à chaque fois d’une belle descente où il faut être attentif à ne pas poser son pied dans un trou et à ne pas buter sur une racine, à moins d’avoir des chevilles élastiques ou le train d’atterrissage près du sol.
« On veut agir, on ne veut pas subir », écrivait encore le philosophe dans ses Propos sur le bonheur. Personne n’aime s’astreindre aux corvées, souffrir d’une maladie, subir la nécessité. Dans l’effort que l’on déploie librement, par contre, l’on trouve une forme de plénitude. Ainsi en est-il de l’écrivain qui vivant de sa plume parlera de la peine qu’il a d’écrire alors que celui qui se consacre à l’écriture sans que rien ni personne ne l’y contraint en évoquera le plaisir, ou à mieux parler le bonheur car le bonheur ne réside pas dans le plaisir comme l’expliqua Alain en prenant Hercule comme exemple : tant que ce dernier écrasait des monstres, il y trouvait la révélation de sa propre puissance, mais dès qu’il tomba amoureux, il ressentit au travers de la puissance du plaisir son propre esclavage. Alors, plaisir ou bonheur de courir ? A chacun selon son travail !
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Superbe comme d’hab Thierry! Une bonne journée.