20 Km de Bruxelles : Petit essai à chaud sur la solitude du coureur de fond

« Le bonheur n’est pas chose aisée, il est très difficile de le trouver en nous, et impossible de le trouver ailleurs », disait Chamfort, cité par Arthur Schopenhauer (1788-1860) en exergue de ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie. Le philosophe allemand y définit la sagesse comme « l’art de rendre la vie aussi agréable et aussi heureuse que possible ». « Rien ne contribue moins à la gaieté que la richesse et rien n’y contribue plus que la santé », avance-t-il, en préconisant pour entretenir cette dernière deux heures au moins d’exercice rapide par jour et rappelant ce précepte d’Aristote, « la vie est dans le mouvement ».

Aristotéliciens, environ quarante mille coureurs le furent dimanche dans les rues de la capitale pour la 38e édition des 20 Km de Bruxelles. Avaient-ils suivi la méthode Schopenhauer pour s’y préparer ? Il est permis d’en douter à compter le nombre de défaillances, mais sans doute la chaleur, qui ne cessa de s’accroître une fois que les grosses averses d’avant le départ matinal étaient passées, en a-t-elle provoqué un certain nombre.

Le dispositif de sécurité entourant les 20 Km de Bruxelles avait été renforcé. De gros blocs de béton protégeaient les accès carrossables aux endroits névralgiques du parcours (notamment avenue de Tervueren) et les forces de l’ordre dont les membres étaient équipés de gilets pare-balles étaient omniprésentes. Quant au parcours de cette 38e édition, par suite des aménagements à hauteur des bâtiments de la Commission européenne ou par superstition, il bifurquait, comme l’an dernier après les attentats meurtriers de Bruxelles, au rond-point Schuman dans la rue Froissard pour ensuite remonter la rue Belliard plutôt que la rue de la Loi. Par contre, les tunnels de l’avenue Louise, dont on se serait volontiers passé quel que soit leur état, ne serait-ce qu’en raison de la chaleur, constituaient à nouveau un passage obligé.

Devant le dispositif, la sécurité, quel coureur n’y a pensé ? Quelle que soit la multitude (en plus des participants – dont 30% de femmes, le soleil avait ramené les spectateurs en masse par rapport à l’an dernier), une fois le départ donné, le coureur retrouve ses pensées et sa solitude, cette « tempête de silence qui arrache toutes nos branches mortes », selon Khalil Gibran. Chamfort disait d’ailleurs que l’on est plus heureux dans la solitude que dans le monde, car dans l’une l’on penserait aux choses et dans l’autre l’on serait forcé de penser aux hommes…

Olivier de Kersauson, l’« Amiral » des Grosses Têtes, confie que la solitude, lui aussi, il aime bien ça : « Ça ressemble à la vie réelle. Quand l’instant est grave, important ou difficile, on est seul, toujours », écrit-il dans ses Promenades en bord de mer et étonnements heureux. Chez cet autre wanderer contemporain qu’est Sylvain Tesson, qui passa notamment six mois seul dans une cabane dans les Forêts de Sibérie, à plusieurs jours de toute autre âme humaine, le propos est plus nuancé : si rien ne vaut la solitude, pour être parfaitement heureux il manque quelqu’un à qui l’expliquer.

Ce n’est pas ainsi que l’entendait Paul Valéry : « Dieu créa l’homme, dit-il, et ne le trouvant pas assez seul, il lui donne une compagne pour lui faire mieux sentir sa solitude ». Comment, s’il en était ainsi, se lamenter avec Baudelaire, de ce que « Mainte fleur épanche à regret Son parfum doux comme un secret Dans les solitudes profondes »?

Dans La solitude du coureur de fond, dont le titre de ce commentaire s’inspire, la solitude qu’évoque Alan Sillitoe est tout autre. Le personnage central de son récit refuse de se laisser mouler dans un conformisme social qu’il réprouve. Cette solitude-là n’est nullement contemplative et résignée, elle est combattive et résiliente, forgée dans le défi et l’abnégation, celle sans doute qui caractérise le mieux le coureur de fond, dans son effort, son attitude et son originalité.

Dimanche, 40.000 âmes fortes ont solidairement bravé les fléaux de notre temps. Au fil des ans, les 20 Km de Bruxelles, les 35es consécutifs de l’auteur de ces lignes, ont peut-être perdu en innocence et en convivialité ce qu’ils ont assurément gagné en maturité. (Photo : 20 Km de Bruxelles)

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