“Dis-moi pourquoi tu cours” et comment (Pr Dr Nicolas Duruz)

Chassez le naturel, il revient au galop. A fortiori, faudrait-il ajouter, quand il s’agit de course à pied. Professeur de psychologie à l’Université de Lausanne, Nicolas Duruz s’initia à la pratique du footing à l’âge de soixante ans et y prit goût. Douze ans plus tard, il a tenté de répondre à la question « Dis-moi pourquoi du cours » en s’appuyant sur son expérience de psychothérapeute dans un petit livre publié aux Editions Médecine et Hygiène en Suisse.

Ce livre d’une centaine de pages s’articule en deux parties, l’une descriptive des « états de corps » qu’il a lui-même ressentis et que, au hasard des rencontres, ses compagnons de route lui ont relatés, avant, pendant et après un jogging, l’autre réflexive, analysant les styles de courir à partir du modèle général de la personnalité mis au point par le psychiatre, psychanalyste et philosophe belge Jacques Schotte (UCL).

Comment court-on?

Si, au départ, courir consistait pour l’auteur (comme pour beaucoup d’autres joggeurs) à s’extirper de ses activités professionnelles et à se changer les idées en pratiquant le footing de une à trois fois par semaine et en participant à six ou sept courses par an (dont les 20 Km de Bruxelles), le jogging s’est transformé pour lui en une nouvelle expérience de vie, lui conférant un sentiment basique d’exister. Inspiré par la lecture qu’il qualifie de décisive de l’Autoportrait de l’auteur en coureur de fond de Haruki Murakami, Nicolas Duruz a cherché à savoir ce qui l’animait ainsi que ses contemporains en posant la question « comment court-on ? » (au lieu de pourquoi).

La manière volontariste, stakhanoviste de l’auteur japonais ne correspond pas à la sienne, Nicolas Duruz le confie d’emblée. Il préfère un effort soutenu en endurance fondamentale afin d’être ouvert au monde et de favoriser les échanges avec la nature qui l’entoure et les personnes qu’il rencontre. Ce type d’effort se distingue radicalement de l’effort forcé, empreint de fureur, de frénésie, d’excès de vivre, propre à ces coureurs qui se mettent en position d’extériorité par rapport à eux-mêmes et visent à la maîtrise de leur corps. Si le résultat est un ingrédient important de l’acte de courir, lui accorder la priorité conduit à notre mode habituel de fonctionnement, faire quelque chose à l’instant présent en pensant déjà à l’après, une attitude à laquelle l’esprit est formaté cognitivement et culturellement.

Avoir franchi le cap des 70 ans, pour certains, c’est déjà un bel âge, l’essentiel est fait ; pour d’autres, l’avenir reste devant soi et l’on a encore la possibilité d’accomplir de belles choses même si la course à pied révèle les limites du mythe de l’éternelle jeunesse et de la progression sans fin. Et, s’interroge Nicolas Duruz, ces « runners » invétérés, férus d’aller jusqu’au bout d’eux-mêmes, qu’est-ce qui les motive ? De savoir jusqu’où ils peuvent vivre ? D’affronter l’ennemi intérieur qui est la mort ? La course à pied constitue, selon l’auteur, une métaphore de la vie et une quête d’identification permettant dans un rapport de soi à soi et aux autres, de réconcilier la vie et la mort, quel que soit, en définitive, le vecteur pulsionnel qui anime le coureur.

Vivre et habiter le monde

Dans sa typologie de l’homo currens, Nicolas Duruz se réfère aux 4 vecteurs pulsionnels identifiés par Jacques Schotte comme les 4 dimensions constitutives de la condition humaine et correspondant aux 4 possibilités de vivre et d’habiter le monde. S’appliquant au jogging, dans un ordre croissant de complexité, il s’agit du courir contactuel (la faculté basique de participer au mouvement de la vie en contact avec le monde), du courir performant (la faculté de se spécialiser et de se différencier dans un monde de la maîtrise), du courir collectif (la faculté de co-construire un monde de la réalité partagée et de l’intersubjectivité) et du courir motivé (la faculté propre à l’homme de donner un sens à la vie et de rechercher le bonheur dans un monde de l’inventivité créative).

Se disant las de la recherche identitaire au coeur de la pensée occidentale (Qui suis-je ? Qui suis-je pour l’autre ? Qui est l’autre pour moi ? Pourquoi dois-je mourir ?), Nicolas Duruz avoue avoir été tenté par un saut dans un monde plus simple et préférer le courir contactuel. A ceux qui y verraient un comportement égoïste et facile, il répond que se ressourcer au contact des forces vives du corps et de la nature, quelle qu’en soit la manière, constitue un adjuvant inestimable pour s’engager dans la construction d’un monde qui, s’il nous a été donné, est sans cesse à dire et à faire.

Dis-moi pourquoi tu cours est un livre sérieux et précieux (notamment disponible sur Amazon.fr) qui explique de façon factuelle et limpide « comment la course à pied nous révèle à nous-mêmes » (l’objectif exprimé en sous-titre du livre). Il vous invite à vous connaître vous-même et à devenir qui vous êtes, qu’importe votre âge ou votre façon de courir, car, comme le dit l’érudit chinois Gao Panlong (1562-1626, cité par Nicolas Duruz), « c’est le corps tout entier qui est l’esprit ».

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L’Autoportrait de l’auteur en coureur de fond de Haruki Murakami avait fait l’objet d’une recension sur Marathonien de coeur et d’esprit. Un autre article avait été consacré par Marathonien de coeur et d’esprit à Haruki Murakami lorsqu’il s’était vu décerner le prix de littérature du journal allemand Die Welt : Murakami à Berlin, auteur marathonien culte dans ville marathon fétiche. Lisez ou relisez ces articles via les liens surlignés.

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Posté dans Connaissance de soi
1 Commentaire » pour “Dis-moi pourquoi tu cours” et comment (Pr Dr Nicolas Duruz)
  1. stephane dit :

    Tu nous mets véritablement l’eau à la bouche. Sur la liste de mes futures lectures. Merci.

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